Soixante ans après la Conférence de Bandung, les dirigeants d’Asie et d’Afrique marchent sur les pas de leurs prédécesseurs
Le 60e anniversaire de la Conférence historique de Bandung, qui a eu lieu en 1955, a été marqué, le 24 avril 2015, par une cérémonie aussi courte qu’authentique. Au terme d’un sommet de deux jours à Jakarta (Indonésie), les plus grands dirigeants politiques d’Asie et d’Afrique ont fait la même marche historique et pris les mêmes engagements que leurs prédécesseurs.
Par Martin Khor
Le 24 avril 2015, les plus grands dirigeants d’Asie et d’Afrique ont marché, pendant dix minutes, d’un vieil hôtel à un autre vieux bâtiment abritant une salle de conférence. Quelque 300 personnes ont défilé en cette belle journée ensoleillée.
Cela peut sembler anodin et sans intérêt, mais cette marche n’avait rien d’ordinaire. Il y a soixante ans jour pour jour, un petit groupe d’hommes et de femmes influents ont emprunté le même chemin et ont créé un mouvement qui est progressivement devenu une union anticolonialiste et postcoloniale.
En 2015, les dirigeants sont venus célébrer l’anniversaire de la Conférence de Bandung organisée par les dirigeants des pays d’Asie et d’Afrique, nouvellement indépendants ou en passe de le devenir.
En 1955, les dirigeants avaient séjourné au grand hôtel Savoy Homann d’où ils avaient débuté une marche historique, le long de l’Asia Africa Road (route afro-asiatique), jusqu’au bâtiment de la liberté, le Gedung Merdeka.
Le 24 avril 1955, des personnalités éminentes, comme le président indonésien Sukarno, le premier ministre chinois, Zhou Enlai, le premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, le président égyptien Gamal Abdel Nasser et le premier ministre birman U Nu, ainsi que des dirigeants africains, s’étaient réunis à la Conférence de Bandung pour dire que les nouveaux pays indépendants devaient s’unir et défendre leurs intérêts communs.
À cette occasion, ils ont adopté les principes de Bandung, parmi lesquels le respect de la souveraineté et de l’auto-détermination nationales, l’égalité de toutes les nations et le refus de recourir à la force ou d’exercer des pressions sur d’autres pays.
La Conférence de 1955 était la première réunion de dirigeants de pays en développement. Ces derniers s’étaient engagés à aider d’autres pays encore sous le joug colonial à acquérir leur indépendance et à collaborer entre eux pour développer leurs faibles économies.
L’esprit de Bandung a donné naissance au Mouvement des pays non alignés en 1961 et, de manière indirecte, au Groupe des 77 en 1964, les deux plus importantes organisations de pays en développement.
Le 24 avril 2015, les dirigeants politiques de plus de 40 pays, emmenés par le président indonésien Joko Widodo, et des représentants de plusieurs organisations internationales ont pris le même chemin allant de l’hôtel Savoy Homann au Gedung Merdeka et ont assisté à une cérémonie commémorative brève mais authentique.
Parmi les dirigeants présents, il y avait les présidents chinois, zimbabwéen et du Myanmar, les premiers ministres malaisien, népalais et égyptien et le roi du Swaziland.
Il a annoncé dit que le Gerdung Merdeka n’avait pas changé et que les chaises étaient les mêmes que celles utilisés 60 ans plus tôt.
Le président Widodo a rappelé le rôle prépondérant et l’esprit des grandes figures de l’époque, qui ont été les pionniers de l’indépendance de leur nation et qui ont forgé l’unité des pays nouvellement indépendants.
Les dirigeants ont écouté et réaffirmé les principes de Bandung adoptés en 1955, toujours aussi pertinents à notre époque, et ont signé les documents qu’ils avaient approuvés au cours des deux derniers jours pendant le Sommet Asie-Afrique à Jakarta, qui avait précédé la cérémonie de Bandung.
Le Sommet était consacré au thème du renforcement de la coopération Sud-Sud en vue de la promotion de la paix et de la prospérité mondiales.
Le président Widodo a prononcé un discours percutant dans lequel il a souligné que les inégalités de pouvoir et les injustices dans le monde persistaient et que les pays en développement luttaient encore pour occuper la place qui leur revient dans les prises de décision dans le monde des affaires.
Il a déclaré que l’injustice mondiale était indéniable quand on voit que les nations riches pensent avoir le pouvoir de changer le monde, que les Nations Unies sont impuissantes, que le recours à la force se fait sans l’autorisation de l’ONU et que les grandes puissances passent outre l’ONU.
C’est une injustice, a-t-il ajouté, que les pays riches refusent de reconnaître que le pouvoir économique mondial s’est déplacé et qu’ils ne jurent que par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque asiatique de développement (BAsD).
Et d’ajouter : « Nous ne pouvons pas laisser le destin de l’économie mondiale aux mains de ces trois organisations seulement, nous devons construire un nouvel ordre mondial ouvert à de nouveaux pays. Nous avons besoin d’un nouveau système mondial qui soit équitable ».
D’après Widodo, si l’esprit de Bandung repose sur l’indépendance des pays, nous avons encore une dette envers les Palestiniens. « Nous nous devons de les aider à créer un État indépendant de Palestine », a-t-il déclaré.
La tragédie et la lutte des Palestiniens ont pris une place majeure dans les débats du Sommet. La poursuite de l’occupation des territoires palestiniens et la lutte, en vain, des Palestiniens pour un État indépendant est apparue comme une « une oeuvre inachevée » de la Conférence Asie-Afrique de Bandung.
Le Sommet a donné lieu à l’adoption d’une déclaration en soutien à la Palestine, ainsi que de deux autres documents : le Message de Bandung pour le renforcement de la coopération Sud-Sud et la Déclaration sur la redynamisation du Nouveau Partenariat stratégique Asie-Afrique. Ils détaillent les actions à prendre en vue de promouvoir une plus grande coopération dans les domaines de l’économie, de la santé, de la sécurité alimentaire et de l’éducation, entre autres.
Le président chinois Xi Jinping s’est engagé à offrir la possibilité à 100 000 étudiants et représentants d’Asie et d’Afrique de venir suivre des études ou une formation dans son pays au cours des 5 prochaines années.
Il a, en outre, présenté plusieurs principes, dont la recherche d’un terrain commun et l’esprit d’ouverture aux points de vue des autres, l’expansion de la coopération Sud-Sud et la réduction des disparités entre le Nord et le Sud. Il a également mentionné les nouvelles initiatives de la Chine pour mettre en place une banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, ainsi qu’un nouveau fond pour financer les activités relatives au projet de la ceinture écononomique de la route de la soie et de la route maritime de la soie.
Ces initiatives entreprises par la Chine ont rappelé que la prospérité croissante de la Chine et l’essor de certaines économies offrent la possibilité aux pays en développement de s’entraider pour financer leur développement.
Dans les réunions Sud-Sud, on ne fait plus que critiquer la dominaiton des pays occidentaux sur les pays du Sud mais on présente aussi des initiatives prises par les pays en développement pour s’entraider, notamment par la création de nouvelles institutions.
La Conférence de Bandung de 1955 a marqué l’histoire en étant le point de départ de nombreuses évolutions positives pour les pays nouvellement indépendants.
La Conférence de 2015 pourrait, elle aussi, être une réunion historique qui contribue à faire progresser la coopération Sud-Sud et qui, conjuguée au plus grand rôle que nous jouons dans les relations multilatérales, donnera effet au nouvel ordre mondial dont révait la première génération de dirigeants.
Au terme des réunions qui ont eu lieu à Jakarta et à Bandung, les représentants indonésiens ont fait savoir qu’ils suivraient la mise en application des mesures après le Sommet. Il est important de concevoir des programmes concrets, de manière à ce que les bonnes intentions ne restent pas théoriques mais se concrétisent dans de nouvelles initiatives de coopération Sud-Sud.